Onomastique : le nom BOGROS
Les
auteurs d’ouvrages consacrés à l’onomastique, même les plus réputés tels
Albert Dauzat ou Marie-Thérèse Morlet, ont négligé ce nom. A ma
connaissance, il n’y a qu’un seul ouvrage, récemment édité, qui mentionne
le nom, en lui donnant une origine que je confirme. Il s’agit du
livre : Les noms de lieux du Puy-de-Dôme, de Jean-Marie
Cassagne et Mariola Korsak.
Notre
patronyme aujourd’hui écrit le plus souvent BOGROS, mais aussi parfois BAUGROS, a connu dans le passé
un grand nombre d’autres graphies qui respectaient, plus ou moins la
prononciation : Bogrot, Beaugros, Baugraut, Baugraud, Bogro, et même
Bogre et Bougros.
Mais
avant le 18e siècle, la graphie adoptée par les scribes de la
région d’origine de nos familles (celle des prêtres et des notaires
principalement) est le plus fréquemment BOSGROS, ce qui est révélateur de
son étymologie.
Le nom est à rapprocher
d’un certain nombre de patronymes et de toponymes de la même
région : Delbos (= Dubois), Bosjean (=Bois-Jean). La lettre S de bos
n’étant jamais prononcée dans le
patois de la région, les lettrés la rétablissaient naturellement
dans les noms qui leur paraissaient provenir de la forme ancienne Bosc à
laquelle ils prêtaient une fausse étymologie latine « boscus ».
(L’étymologie réelle est germanique, apport des invasions barbares.). La
deuxième syllabe du nom dérive-t-elle de grossus ? Sans aucun doute,
mais s’agit-il, comme avec Bosjean du « bois d’un homme surnommé
Gros » ou bien de la simple qualification d’un lieu forestier
« bois gros » dans la signification bas-latine ( là encore en
fait germanique ) de « bois grand » ? Il faut noter que
l’on retrouve dans le cadastre napoléonien le toponyme Les Bos-gros comme
terroir encore partiellement boisé dans la commune de St-Sauves, et le
Bois-Gros dans la commune du Mont-Dore pour désigner un espace forestier.
On trouve aussi non loin de Messeix, Bois-Grand pour désigner un hameau
de la commune corrézienne de Chaveroche.
Quoi qu’il en soit, ce qui,
d’évidence est originellement un toponyme, est devenu un patronyme.
La présence dans la commune de
Messeix (Puy-de-Dôme) d’un village du nom de BOGROS ayant connu la même
évolution graphique est troublante, mais ce village est rarement
mentionné ainsi, avant le milieu du 17e siècle. On l’appelle
alors le plus souvent « la Frousse ». (Voir la rubrique Le
village de Bogros )
Page
65 du manuscrit
Article
Bogros de la « Géographie de touts les châteaux des cy-devant
fiefs,maisons de campagne et autres lieux remarquables d’Auvergne »
(1813) par M. Deval de Saunade
(Manuscrit 509, BMIU de Clermont-Fd).
Cet
article, malgrè la naïveté de son argumentation, présente l’intérêt de
témoigner qu’au début du 19e siècle, l’étymologie du nom ne
fait pas de doute pour Me Annet Bogros (1748-1824) qui est sans aucun
doute l’informateur de l’auteur.
Page
66 du manuscrit
Les surnoms individuels se
sont fixés pour devenir nos patronymes durant le bas Moyen-âge, donc bien
avant le 17e, siècle, aussi, la liaison : nom du lieu →
nom de l’habitant du lieu, ne peut être retenue, de manière aussi
simple, à partir du nom de ce village.
Quelles hypothèses peuvent
être envisagées ?
1) Le nom serait exogène à la
microrégion que nous considérons (ce serait donc à tort) comme celle du berceau
des Bogros. Il existe dans le Puy-de-Dôme un autre lieu, un hameau,
dénommé de manière immémoriale Bogros, qui se trouve dans la commune de
Charbonnières-les-Vieilles. Cependant nous n’avons trouvé aucun patronyme
Bogros à proximité de ce lieu dans les archives les plus anciennes.
2) Le nom serait encore plus
exogène. Des lieux appelés Bogros, Bosgros, Boscgros… existent ou ont existé ailleurs en
France. Par exemple dans les communes de Culhat (Puy-de-Dôme), de
Jullianges (Haute-loire), de Villefranche-de-Panat (Aveyron), de
Saint-Maurice-Navacelles (Gard), d’Etoile-sur-Rhône (Drôme), de
Saint-Cirq-Lapopie (Lot). Mais là encore, aucune famille homonyme ne
paraît pouvoir leur être associée
dans le passé.
3) Le nom du village de
Bosgros/Bogros, anciennement la Frousse, pourrait être une résurgence. Le
nom, resté celui d’un terroir contigu à celui de la Frousse (et devenu
parallèlement patronyme), redevient celui d’un lieu habité du fait de
nouvelles constructions excentrées empiétant sur ce terroir. Cette
hypothèse nous paraît assez vraisemblable, puisque le village avait à la
fin du 17e siècle, une structure éclatée, au moins binucléaire
comme l’atteste une mention du notaire royal de Bourg-Lastic Berthon
Desortiaux, qui cite (une seule
fois, en 1694) une famille habitant « Petit-Bosgros ». Il
y avait donc un « Grand-Bosgros » ! L’un des deux
devant être l’ancien « La
Frousse ».
On doit évidemment s’interroger sur
le processus de disparition rapide du toponyme La Frousse (plus jamais
cité vers 1700) au profit de celui de Bosgros. Ecartons d’emblée la
volonté des habitants de changer un nom qui pourrait paraître
dévalorisant*, car le sens familier actuel du mot « frousse » apparaît
seulement au 19e siècle.
Un élément déterminant réside certainement
dans la présence, comme famille principale du village de la Frousse,
d’une famille Bosgros, famille bourgeoise y disposant d’un important
domaine et possédant dans la vallée de la Dordogne, à peu de distance par
le sentier du versant, un moulin appelé déjà bien antérieurement
« moulin de Bosgros ». La confusion des noms du propriétaire et du lieu,
avérée pour le moulin, a pu jouer aussi pour le domaine et les maisons
voisines.
Dans cette hypothèse, on
aurait donc le schéma suivant :
Toponyme
(tombé ensuite + ou – en désuétude à une époque inconnue)
Patronyme
Toponyme
coïncidant ou non topographiquement avec le premier.
(peu usité avant 1650, connaissant un élargissement de son
usage ensuite)
*
Les toponymes La Frousse, la Frausse, les Fraux… paraîssent désigner
initialement une zone en friche.
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